Et le reflet de notre lune dansera

Critique de Ian C. Nelson

«Un succès éclatant… c'ést-à-dire éclatant comme l'explosion des obus qui annoncent la deuxième guerre mondiale où se situent le chaos, les amours et les sauvageries de la nouvelle pièce de David Granger Et le reflet de notre lune dansera (Shadows of a Dancing Moon) à La Troupe du Jour. Et c'est avec brio et un professionnalisme assuré qu'avec cette création à Saskatoon et en tournée (à Gravelbourg, à Regina, à Prince Albert et à Bellevue) la Troupe franchit le seuil de ses trente ans.

La mise-en-scène de l'auteur lui-même semble exploiter tout le potentiel de son texte littéraire qu'il «envoie dans le cosmos … en honneur de toutes personnes qui cherchent le bien.»

La situation s'annonce avec une scénographie angulaire remarquable : un champ de bataille psychologique et un ring de boxe où monte un jeune soldat pour divertir les troupes. On voit celui-là aplati et meurtri en KO pendant de longs moments de la pièce. Depuis six jours surréalistes une pleine lune s'approche de la terre, ajoutant à la folie de la guerre et de l'établissement qui en profite («They kill kids for cash»). À la radio on entend la voix paniquée d'un speaker qui rappelle l'effet de « La Guerre des mondes » de H.G. Wells.

Pour une pièce qui évoque des flashbacks où l'amour s'exprime et se culpabilise jusqu'au suicide et des états de conscience gravitent autour de la mort imminente, des costumes et des accessoires de l'époque et une brume subtile accentuée par les éclairages font le concret minable de la situation qui flotte dans l'onirique et le surréel d'une tête assaillie par le Trouble de Stress Post-Traumatique. Une chorégraphie géniale (signée Frank Engle) permet une alternance entre les moments dans le ring poussés par l'administration exécrable qui dirige ce divertissement et la conscience troublée d'un coach pris dans le trame de l'histoire et finalement les observations d'un reporter de Life Magazine.

Le jeu de la demi-douzaine de comédiens s'accroche autant au mouvement qu'à la parole et à la voix. Ils se montrent tous à la hauteur des demandes du texte et de la mise-en-scène. Même la chanteuse-chipie française Cocotte qui frise le cliché –– tout en donnant au public des moments de comédie nécessaire –– est complètement ancrée dans une psychologie reconnaissable et se justifie pleinement dans un moment sublime qui évoque la Pietà. À juste escient j'applaudis bien de ces instances visuelles qui ponctuent l'intrigue en lui donnant une richesse de résonnances et de niveaux de signifiance. En fin de compte cela me rappelle un tout petit bémol : c'est le moment de la toute fin qui – en comparaison à ces autres moments – me paraît un brin flasque, bien qu'il englobe un petit résumé véridique et moral. C'est une opinion personnelle qui vient de quelqu'un qui adore l'ambiguïté : il m'arrive souvent de repérer plusieurs fins possibles pour une pièce, mais le choix évidemment reste celui de l'auteur et le metteur en scène. Le fond sonore (signé Gilles Zolty) joue un rôle très important surtout pour marquer le retour de l'onirique à l'action réelle : il est merveilleusement équilibré surtout pendant la longue période du chaos qui mène à la conclusion où une sonnerie lointaine représente et une alarme de bombardement guerrier et le retour au ring de boxe. Encore un exemple de réussite complète dans la réalisation.

Depuis 2012 on a assisté à une série d'étapes dans le développement de cette pièce (sous un autre titre) suivant une programmation originale de la Troupe reconnue à l'échelle nationale. Son aboutissement dans la création de Et le reflet de notre lune dansera en 2016 lève le drapeau pour les prochains 30 ans de la compagnie! Chapeau!'
—Ian C. Nelson

La Troupe du Jour continue la représentation de « Et le reflet de notre lune dansera » du 4 au 7 février 2016 à Saskatoon au Studio 914 et elle partira en tournée du 10 au 13 février 2016. Pour plus d'information consultez le site web : www.latroupedujour.ca

(Source: La Troupe du Jour)